mercredi 26 mai 2010

BEAUPORT (extraits d'un interminable chantier)




C’était un jour très long. Trop. Toute cette période de ma vie me semble avoir été ce jour sans fin hésitant entre l’hiver et le printemps, le cul vautré dans la slush brune et les yeux plongés dans la dense grisaille du ciel de février. À cette époque j’apprenais l’ennui et disposais de tout mon temps pour en faire un apprentissage exhaustif. Pas d’argent, pas de travail, pas de blonde et Beauport comme perimètre de mon oisiveté casanière. Je bénéficiais alors des grâces inconditionnelles qui sont le propre des mères quand elles sont gentilles. Ainsi, dans la jeune vingtaine, il me semblait que ma vie était un trip de PCP déclinant lentement, un trop long lendemain de veille stallé depuis trop longtemps à Sainte-Thérèse-de-Lisieux. 
Je m’étais poussé de l’école avec l’appui d’une psychologue pour cause d’anxiété sociale et la plonge dans les restaurants m’avait depuis longtemps dégoûté. Bref, j’étais dans les derniers retranchements d’une adolescence qui n’en finissait plus, comme diraient certains. Mais moi, j’étais ailleurs, quelque part parmi ma collection de gueules de bois (que j’avais acquis avec la coopération de quelques amis salariés ou prêts et boursiers) , quelques livres et quelques disques. Une sourde urgence aux fins indéterminées me tâlonnait chaque jour, Big Brother impitoyable épiant tout ce temps perdu à rêvasser. J’écrivais donc des poèmes.

Poèmes éparpillés par terre
Un arbre a trop rêvé
Feuilles mortes

 Je tentais de tromper la vigilance de cette indicible crotte que j’avais sur le coeur au moyen d’envolées lyriques des plus aléatoires et qui, pourtant, tenaient compte de cet état.

Les enfants que nous aurons
Seront singes pathétiques
Sculptant d’étranges miroirs
Tout le long des longs couloirs
D’un hôpital psychiatrique.

Mais pour l’instant
Je vais me saouler d’angoisses,
Me laisser exploser
Dans un rire aux éclats
Devant des bêtes horribles…

Toute une cosmogonie intime prenait forme entre le monde et moi, une armada de repères étranges, de créatures difformes, de caricatures, venait peupler le réseau d’échanges entre ma pensée et le monde extérieur. Aussi, j’écrivais comme on expulse une diahrée et souvent c’était objectivement tout près de la merde.

J’aboutis à des cris
Des lueurs fanées qui s’estompent
Des cortèges de miroirs grimaçants
D’ordures en ordures
Toujours en syncope

J’abrutis mes esclandres

Je tente d’admirer un oiseau
Symbole horrible aux yeux narquois
Sa clameur éclate au soleil
Comme un horizon d’Hiroshima

Je ne sais ce que j’écris
Moi, j’éclate
Comme un torrent de vie
Vomi par une statue
Tragique et figée
Comme inutile

Baudelaire et Denis Vanier se bagarraient dans mon esprit sur une musique de Bo Diddley. Les surréalistes débarquaient au milieu de l'échauffourée, armés de monocles, de cannes et de chapeaux melons, vociférant des ordres impératifs et sibyllins. Un joual galopait dans mon crâne en hénissant l’argot parisien de Bruant. Et les fantômes de mes courtes amours émanaient de chaque fissure de mon esprit en susurrant des paroles de Gainsbourg. 
J’assistais à tout cela comme vautré en un fauteuil de cinema. D’ailleurs, j’avais une description très précise de ce cinéma et de ses cinéphiles. C’était une salle délabrée dans un bâtiment désaffecté, les toiles d’araignées y jouaient les guirlandes et les sièges étaient occupés par des anges faits d’un plâtre cheap qui s’écaillait. Leurs ailes étaient rabibochées par du tape à hockey. Moi, toujours vautré, j’avais la sensation d’être couvert d’un vieux placentas déchiré sur lequel une épaisse couche de poussière avait élu domicile. Dans l’obscurité quasi totale, la seule chose qui se présentait à ma vue c’était le mot EXIT en lettres rouges sang, lumineuses, en suspend dans le noir.  Nulle envie d’aller me noyer dans le verbillage psychanalytique afin d'analyser ces visions, j’avais alors pris le parti, et je persiste encore, d’une simple réaction esthétique à un monde que je refusais, une architecture de mon isolement. Le réél était pour moi une maison hantée. Et je parlais toujours de mon éclatement, d’une explosion de moi-même, pressurisé par l’angoisse du monde extérieur.
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Emporté par mon cafard
J’ai pris l’arche de No Way
En solitaire un certain soir
Sous un plafond plein d’araignées

Et puis l’aube est apparue
Et se croisant les rayons
Le soleil boudait au dessus
De l’arche et de ses longs sillons

J’observais par la fenêtre
Le désert qui m’entourait
Et je me sentais disparaître
Un peu, beaucoup et à jamais

Lentement je m’enfonçais
Jusqu’à voir se poindre au loin
Sur cette mer de boue séchée
Des bâtiments du genre humain

J’ai donc stoppé ma ballade
Lorsque j’abordais  ce village
Un grand silence, un peu malade
Avait vomi ce paysage

 C’était le début d’un retrait du monde, un move inachevé. Un retrait? Je dirais plutot une tentative de le décrypter tout en le larvant. Tout était cendres et poussières, ténébres ou grisaille. De cet état des lieux se modelaient des personnages farçis de symboles. Des fleurs dégueulasses poussées sur un tas de fumier qui ne l’était pas moins, fumier engraissé souvent par la fiente de l’esprit qui vole, le calembour.
Par exemple, j’avais la fée Néant pour compagnie, la reine des salons de banlieue, trônant sur un sofa modulaire avec les façons distinguées d’une larve hystérique et dont la baguette magique n’était rien d’autre qu’une télécommande full equiped. Sa caboche avait tous les aspects d’une vieille chique de gomme à laquelle on avait greffé un minou de poussière puisé à même le dessous de mon lit. Tête affreuse exhibant un sourire gossé par des doigts pressés d’en finir. Des yeux aussi chaleureux que deux boules de pétanque agrémentées pour chacune d’un trait vertical de crayon feutre brun. Et sa robe était un ramassis de guenilles desquelles dégoulinaient, en guise de coquetteries, des trainées de sperme séché et laissait deviner un corps maigre et tordu à la peau grisâtre comme un fond de cendrier mal lavé.

Des serpents
Comme des 5¢
À ses pieds
Font la pose
Et leurs têtes glacées
Font scintiller leurs crocs
Qui s’aggripent goulument
Dans une forme close
À leurs queues sidérées
Par le poids de leur peau
je consignais ainsi ma léthargie sociale au lieu de rêver d’un beau char de l’année ou d’un clair de lune à Jasper.
Christian Girard (c) 2010

3 commentaires:

Le Seuil a dit…

Saloperie de banlieue de Ste-Thérèse-de-Lisieux, mais c'est de la CRiTURe ça, Mossieu ! Je paierais en dessous de la table pour lire le reste de ce travail au noir...;-)
L.

Christian a dit…

Merci beaucoup!
Ça m'encourage :)

Christian

Anonyme a dit…

Encore.... encore... (d'un rescapé des camps de Charlesbourg)

Jean