Il fait froid dehors, le café se boit très lentement
Rock-détente mur à mur
Question à soi-même : “et si tu n’existais pas?…”
Le temps passe en rasant les murs comme un fou
Exténué de tourner en rond avec les gestes mécaniques
D’une colère blasée en pénitence au fond d’un trou
Les serveuses vont et viennent avec des pas
Évoquant d’éléphantesques ballerines
Qui se dandinent parmi les tables, les chaises
Et sous les néons trop lumineux de ce snack-bar
Leurs sourires sont arqués
Comme des arcs fatigués
Aux flèches émoussées
Par des mercis forcés
Mon reflet dégouline
Sur la boîte à Napkins
Tandis que je bois mon café beige
Éberlué, statufié de mariner ainsi
Dans cette sauce commune
Ce quotidien rempli de tortures
Lentes
Et insidieuses
Je voudrais m’intéresser
Aux Serres chaudes
De Maurice Maeterlinck
Mais ce qui rôde
Autour
C’est toujours
Et encore
Du 107,5
Dégoulinant
Du plafond
Comme un torrent de guimauves
Fondues sur ma tête
Ça s’infiltre en moi
Et ça gicle de partout
Tous ces bouts de vers que j’arrache
À des chansons qui s’étiolent
Et se font cadavres exquis
Et déambulent dans mon esprit
Comme une armada
De zombies fatigués
Dont les corps rejettent
En pelures frippées
De nouveaux vers
Que je m’empresse
D’étriper
Des vers vidés de leur substance initiale
Qui par la magie malade
Des homophonies
Et des calembours
S’incarnent autrement
Et diffusent des images inédites
Dans mon cinérama intérieur
Et qui n’auraient pu naître
Sans le concours de cette même magie
Dont la source semble émanée d’un drôle de sorcier
Un chamane hystérique
Et masqué
Ostensiblement
D’une gueule de bois en plomb
Gossée par Monsieur Parkinson
Lui-même
C’est alors que,
Emporté par la marée grotesque
De ce délire,
J’oublie
La café beige
Que j’étais à boire
Le snack-bar
Et ces éléphantesques ballerines
Qui en sont les fines fleurs
Maeterlinck
107,5
Et m’enfonce avec élégance
Dans la fange inconsciente
Exprimée de la substance même
De cette logorrhée
Que je me mets à retranscrire
Parmi les autres clients
Acculés à leurs chaises
Comme des paquets de linges sales
Dans une chambre en désordre
Et cette marée
Se mélange
À mon reflet qui toujours dégouline
Sur la boîte à Napkins
Et m’emporte
En drainant dans sa course
Un vers de Francis Cabrel
Et me dépose au seuil
De quelque plage
Longeant la Manche
Où se déroule une scène
Dont voici le récit….
…Mon enfant nu sur des gars laids
Mon enfant nu
C’est Bécassine à poil
Avec seulement sa capine
Couchée
Sur un monticule
De gars laids
De Marines
De Canadiens-Français
De cadavres défigurés par la guerre
Sur quelque plage bretonne
Ou normande
On ne sait plus
Exactement où
Vu la tournure des événements
Des bombes, des gaz, des guns
Qui sont passés par là
Tout le sol n’est que galets couverts
De vomi, de sang, de boyaux
Une assiette où vont choir les restants
D’un étripage sans bon sens
Et Bécassine est couchée
Dans les pâmes
Et se roule la bille
Et ses yeux se révulsent
Dans un décor qu’on a défiguré itou
Bécassine exhibée
En cerise érotique
Sur le sundae de la mort
Brutale et foudroyante
Enveloppée par la brume épaisse
Du combat terminé
Opaque et grise et noire
Dans une ambiance
De soleil ravalé
Qui aspire en lui-même
Sa propre lumière
Sa propre chaleur
Et se terre dans le ciel
Et ne pardonne pas
À ceux qui l’ont offensé
La grassouillette ménagère
La Bretonne soubrette
Adore âprement cet état
Se broutant, se têtant, se râclant
Dans les relents fétides
De la mort incurable
Et ses instruments de ménage
Sa moppe et sa chaudière
Et ses guenilles et ses torchons
Sont éparpillés tout autour
Du monticule délabré
De bras et de jambes et de têtes et de troncs
Amoncellés, épars
Elle adore les chapeaux ronds
Des soldats Canadiens
Autant que leur accent désuet
Désolé, démembré
De fauve improbable et blessé
Leur misère noire à couteaux tirés
Qui se niche en eux
Et les dévore
Elle adore l’exhalaison
De ces âmes
Qui tournoient tout autour d’elle
Dans un élan qui rappelle
La corneille aveugle
Et la volaille de Dieu
Toutes entremêlées
Dans un ciel d’apocalypse
Déclinant
Elle trône ainsi
En convulsions
En contorsions inouïes
Sur la pyramide à steaks
Ratatinés comme des citrons pressés
D’en finir au plus sacrant
Et qui jettent quantité de sang
En petits fleuves
Sur la plage en galets
Comme un arbre exhumé
cracherait desespérément
ses racines sur un sol
Qui le rejette
C’est alors une ambiance
De mort de Dieu
Qui s’installe
Et dans le ciel le soleil a l’air
D’un Sacré-Coeur pourrissant
Et jutant sur la terre
Tout jute et Bécassine
N’est pas en reste
Et ça gicle
Comme un diamant tombé d’un coffret
Depuis son corps jusqu’au tas de morts
Le ciel la prend dans ses filets
Comme un poisson nerveux
Qui s’éléve et volette
Lentement lentement
Ses mains partout sur son corps nu
La capine agitée par le vent
Comme une soeur volante
Sur un ex voto
Pornographique
On entend le choeur des vagues
Maugréer des clapotis minables
Au cours de cette ascension
De Bécassine imbibée
De son propre plaisir
Et disparaissant lentement
Dans un ciel qui se vide
Et laisse la place
À la nuit qui tombe
Froide et lente
Comme une guillotine
Au ralenti
Christian Girard (c) 2008